Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6DOI 10.1007/s11836-010-0159-2
Traitement de l’alcoolisme par le baclofène
Résumé Des données cliniques et des témoignages de
l’alcool. En termes d’économie de la santé, le coût de
patients qui indiquent une efficacité du baclofène dans
l’alcoolisme est énorme. En termes de souffrances psycho-
le traitement de l’alcoolisme se sont multipliés au cours de
logiques, individuelles et familiales, le coût est tout aussi
ces deux dernières années, mais beaucoup de prescripteurs
grand. Il existe plusieurs maladies autres que l’alcoolisme
sont toujours très réticents à l’utiliser. Pourtant, l’alcoolisme
qui sont aussi très répandues et coûteuses, par exemple le
est une maladie mortelle pour laquelle n’existe aucun traite-
diabète ou la schizophrénie, mais ces maladies se soignent,
ment véritablement efficace, en dehors du baclofène. Dans
elles ont des traitements spécifiques et efficaces. Or, il n’y a
cet article, l’auteur rapporte son expérience de prescripteur
pas de traitement de l’alcoolisme. Que l’on ne nous dise pas
de baclofène, avec une analyse des obstacles potentiels
qu’il y a des traitements efficaces pour l’alcoolisme, ce n’est
susceptibles de limiter son efficacité. Une approche des
pas vrai. Un médicament tel que la naltrexone a peut-être une
mécanismes biologiques par lesquels pourrait agir le baclo-
petite efficacité à court terme chez certains patients, mais son
fène est aussi proposée. Pour citer cette revue : Psychiatr.
efficacité à plus long terme, à un an par exemple, est nulle
[7]. « Le nihilisme thérapeutique s’applique tout aussi bien àl’acamprosate » dit Stahl, le pape actuel de la psychophar-
Mots clés Addiction · Anxiété · Indifférence · Somnolence ·
macologie [15]. Cela n’empêche pas qu’il existe en France
d’énormes infrastructures pour la prise en charge des alcoo-liques. Elles se sont progressivement mises en place au cours
Abstract Clinical data and patients’ accounts have provided
de ces 40 dernières années, avec les centres d’hygiène ali-
accumulating evidence supporting the efficacy of baclofen
mentaire et divers autres centres de consultation, une spécia-
in the treatment of alcoholism. However, alcohologists
lité médicale — l’alcoologie —, des médecins alcoologues,
remain reluctant to prescribe baclofen. It should be remem-
des associations subventionnées par de nombreux organis-
bered that alcoholism is a lethal illness for which no effica-
mes, des centres de cure, des centres de postcure, des tech-
cious treatment exists, except baclofen. The author of the
niques multiples de prise en charge, des sociétés savantes,
present paper relates his experience with the prescription of
des écoles, des journaux, des colloques, des comités, des
baclofen, and analyses the potential obstacles that may limit
rapports, des carrières, etc., pour des résultats dérisoires.
its efficacy. A biological approach of the mechanisms
Un énorme appareil, huilé, institutionnalisé, ramifié, ronron-
by which baclofen may act is also proposed. To cite this
nant, lucratif pour certains et très coûteux pour la société.
journal: Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. 9 (2011).
Assez justifié vu le nombre d’alcooliques en France, l’énor-mité des infrastructures apparaissant parfaitement propor-
Keywords Addiction · Anxiety · Indifference · Somnolence ·
tionnelle à l’énormité de la demande. Mais en termes
d’efficacité ? On peut avoir l’impression que l’énormité deces infrastructures est surtout proportionnelle à leur ineffica-
L’alcoolisme est une maladie dévastatrice qui tue environ
cité sur le plan thérapeutique. On dira, avec un peu de mau-
60 000 personnes par an en France, ce qui fait 120 personnes
vaise foi, qu’elles pourraient n’être là que pour faire comme
par jour. La mortalité liée à l’alcoolisme inclut aussi bien les
si. Comme si on était capable de soigner l’alcoolisme. On ne
cirrhoses que les accidents de la circulation imputables à
Et puis est arrivé un médicament qui guérit l’alcoolisme.
Personne ne l’attendait. Et il est très vite apparu que per-sonne n’en voulait. Comme si un traitement efficace risquait
de mettre en péril la grosse machine à soigner les alcooliques
Groupe hospitalier Paul Guiraud, F-94806 Villejuif, Francee-mail : [email protected]
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6
Le médicament s’appelle le baclofène. C’est un myorela-
Ameisen et moi-même avons publié une courte série de
xant commercialisé en 1972 pour traiter les spasmes
60 cas de patients suivis pendant trois mois [5]. Nous avons,
musculaires que l’on observe dans certaines maladies
depuis, traité un beaucoup plus grand nombre de patients,
neurologiques, telles que la sclérose en plaques. Un médica-
mais sur le plan statistique, les chiffres n’ont pas beaucoup
ment bien connu des neurologues, qui en ont même déve-
changé. Des collègues qui ont actuellement des séries de
loppé une forme pouvant être injectée directement dans le
plusieurs dizaines de patients nous ont dit avoir aussi trouvé
cerveau, la forme intrathécale. On injecte donc du baclofène
des chiffres similaires. Les chiffres de notre étude publiée,
directement au contact du cerveau, et, apparemment, cela ne
qui pourraient donc être assez représentatifs de plus grandes
pose pas de problème majeur de tolérance (mais cela expose
séries de patients, sont les suivants (à trois mois). Près de
à des complications infectieuses, ce qui fait que cette voie est
90 % des patients ont éprouvé les effets suppresseurs du
peu utilisée). Les neurologues prescrivent donc du baclofène
baclofène sur l’envie de boire. La majorité ont totalement
depuis près de 40 ans, couramment à des enfants, parfois
cessé de boire, ou boivent encore un verre de temps en
directement dans le cerveau. Les neurologues ont aussi
temps, généralement sans finir le verre. Néanmoins, un cer-
observé le fait que pour avoir une réelle efficacité, il fallait
tain nombre de patients, qui disaient clairement éprouver les
souvent donner du baclofène à des doses bien supérieures à
effets suppresseurs du baclofène sur leur envie de boire, ont
celles préconisées (dans l’autorisation de mise sur le marché,
eu beaucoup plus de difficultés à arrêter de boire, et certains
ou AMM, en France, les doses maximales préconisées sont
n’ont pas arrêté de boire, même si leur consommation
de 75 mg/j en ambulatoire et 120 mg/j chez les personnes
globale d’alcool a beaucoup diminué (diminution de plus
hospitalisées). Le baclofène est prescrit par les neurologues à
de 50 % comparativement à la consommation avant baclo-
doses progressivement croissantes, jusqu’à obtention de
fène). Nous avons beaucoup réfléchi et discuté le cas de ce
l’effet antispasmodique. Les neurologues donnent ainsi cou-
groupe de patients que nous avons qualifiés de « demi-
ramment et depuis longtemps du baclofène à des doses de 200
guéris ». Il semblerait que ces patients aient été incapables
ou 300 mg/j, sans que personne n’y trouve rien à redire [14].
d’arrêter de boire pour trois raisons principales : une moti-vation insuffisante, une pathologie psychiatrique concomi-tante et une intolérance aux effets indésirables du baclofène.
Une réelle motivation pour arrêter de boire apparaît
comme une condition préalable indispensable pour que le
baclofène soit efficace. Un assez grand nombre de patientsque nous avons soignés nous étaient « amenés », pour ne pas
Les effets thérapeutiques du baclofène dans l’alcoolisme ont
dire « poussés », par un conjoint, ou des parents, ou un
été découverts par un médecin français, Ameisen [2]. Pour le
confrère, voire un employeur ou des services sociaux, alors
récit de cette extraordinaire découverte, on renvoie le lecteur
même que le désir d’arrêter de boire n’était pas du tout évi-
au livre d’Ameisen, Le dernier verre, publié en France en
dent chez les patients eux-mêmes. Il est apparu que l’alcool
2008 [4]. Brièvement, Ameisen était dépendant à l’alcool
pouvait avoir une fonction terriblement importante chez cer-
et il a trouvé dans la littérature scientifique des articles qui
taines personnes. Une fonction souvent identitaire, telle que
montraient que quand on donne du baclofène à un rat rendu
certaines personnes donnaient l’impression qu’elles « n’exis-
dépendant aux drogues, cette dépendance cesse [13]. La
teraient plus » si elles arrêtaient de boire. Parfois une fonc-
dépendance aux drogues chez le rat cesse à des doses de
tion antidépressive, certaines personnes disant qu’elles ne
l’ordre de 3 ou 4 mg/kg de baclofène, soit plus de 200 mg
pouvaient sortir d’un état de profonde tristesse, ou de repli
chez un homme de 70 kg, et Ameisen a cessé d’être dépen-
complet sur soi, que grâce à l’alcool. Ou une fonction clai-
dant à l’alcool à 270 mg/j de baclofène. À cette dose de
rement hédonique, peut-être pas très éloignée de la fonction
270 mg, Ameisen s’est rendu compte qu’il était devenu tota-
antidépressive précédente, mais quand même différente,
lement indifférent à l’alcool. Cela aurait pu n’être qu’un cas
où les patients disent aimer la fête, ne vivre que pour faire
clinique isolé, mais cela ne l’a pas été. Depuis lors, des dizai-
la fête, pour « s’éclater », trouvant insupportablement
nes de médecins ont rapporté un effet similaire, l’indiffé-
ennuyeuse la vie sans alcool. Chez d’autres, l’alcool a mani-
rence vis-à-vis de l’alcool, certains disent la suppression du
festement une fonction transactionnelle vis-à-vis de certains
craving (mais on verra plus loin que ce n’est peut-être pas
proches, la mère souvent, où la prise destructrice d’alcool est
l’expression exacte), chez les patients à qui ils ont prescrit du
l’expression d’une souffrance, d’un refus, d’une immaturité,
baclofène à dose progressivement croissante, sans limite
certains pourront dire d’un œdipe non résolu, dans une sys-
supérieure. Plusieurs centaines de cas sont aujourd’hui rap-
témique bloquée. On pourrait donner d’autres illustrations de
portés (pas tous publiés, mais pour l’essentiel rapportés ici
ces fonctions de l’alcool qui rendent inopérants les effets
ou là sur des forums Internet, ou par des communications
réducteurs du baclofène sur l’appétence pour l’alcool,
personnelles à Ameisen et à moi-même).
c’est-à-dire qui font que beaucoup de patients ne peuvent
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6
pas avoir de motivation suffisante pour arrêter de boire, la
même. Même si ces effets indésirables du baclofène sont
prise d’alcool étant trop importante, pour ne pas dire
tous bénins (c’est-à-dire ne mettent jamais en jeu le pronostic
vital), certains, du fait de leur intensité, ont amené des
Plus de la moitié des patients à qui nous avons prescrit du
patients à arrêter leur traitement, ou à ne pas augmenter les
baclofène souffraient de troubles mentaux. En général, les
doses suffisamment pour obtenir un effet thérapeutique. La
patients connaissaient leur maladie psychiatrique et étaient
fatigue est l’effet secondaire le plus fréquent du baclofène.
suivis par un psychiatre. Les troubles anxieux et dépressifs
Cette fatigue peut être très gênante quand elle est intense.
étaient les diagnostics les plus fréquents, un bon nombre de
Elle prend parfois la forme de véritables attaques de som-
patients présentaient un trouble bipolaire, et nous avons
meil, et peut s’accompagner de vertiges et de malaises. Le
diagnostiqué de très nombreux cas de trouble de la person-
baclofène à faible dose produit parfois des états subconfu-
nalité. La plupart des patients prenaient un traitement corres-
sionnels qui peuvent inquiéter beaucoup les patients. À for-
pondant à leur trouble, le plus souvent ils amenaient une
tes doses, nous avons observé plusieurs cas de véritables
ordonnance. Nous n’avons changé aucun traitement, ni
syndromes confusionnels, mais chaque fois les fortes doses
même conseillé de changement. Notre attitude a toujours
de baclofène étaient associées à la consommation de fortes
été de dire que le traitement par le baclofène est totalement
doses d’alcool et de benzodiazépines, de telle sorte qu’il a
indépendant des autres traitements (psychiatriques et soma-
été difficile d’incriminer le seul baclofène. Une crise d’épi-
tiques), et qu’en aucun cas, même pas par la suggestion,
lepsie a aussi été observée chez une patiente qui n’avait pas
nous n’intervenons dans les traitements en cours. Néan-
d’antécédent d’épilepsie. Certains patients ont présenté une
moins, nous avons toujours lu avec chaque patient une
incontinence, d’autres des vomissements répétés, et chez
note d’information mentionnant les précautions d’emploi
deux patients, des diarrhées persistantes. Ces événements
du baclofène, parmi lesquelles figuraient des interactions
indésirables très gênants (diarrhée, vomissements, inconti-
potentielles du baclofène avec certains psychotropes. Nous
nence, épilepsie, état confusionnel, fatigue intense, attaques
avons aussi systématiquement appelé les médecins traitants
de sommeil) n’ont concerné qu’une petite minorité de
pour les informer de la prescription de baclofène. L’analyse
patients, mais ils ont amené certains à arrêter le baclofène.
des résultats a montré que l’existence d’une maladie psy-
Or, ces événements indésirables sont en règle gérables. La
chiatrique pouvait être corrélée à une moindre efficacité du
plupart sont accessibles à un traitement spécifique (antidiar-
baclofène (statistiquement très significatif). On pourrait dis-
rhéique, antiémétique, etc.), mais surtout ils sont gérables en
serter longuement sur les raisons de cette corrélation. On
adaptant la conduite du traitement par le baclofène. Il est rare
rappelle qu’il existe incontestablement une dimension trans-
que ces effets indésirables surviennent d’emblée, à la prise
versale de « maladie de la volonté » dans toutes les maladies
du premier comprimé de baclofène. Ils surviennent en règle à
psychiatriques. On a vu que pour obtenir un effet optimal du
une certaine dose, au cours de l’augmentation des doses par
baclofène, il était essentiel que les patients soient motivés
paliers. Lors de la survenue d’un événement indésirable très
pour arrêter. La motivation des patients souffrant des trou-
gênant, l’attitude conseillée est de proposer au patient de
bles mentaux peut être diminuée pour toutes sortes de rai-
diminuer les doses de baclofène, en repassant au palier infé-
sons ou circonstances : pour des raisons intrinsèques à la
rieur de dose, celui qui ne produisait pas d’effets indésira-
maladie (« maladies de la volonté »), selon le type de mala-
bles, et de maintenir un certain temps à cette dose. Puis de
die (effet anxiolytique de l’alcool chez les anxieux, ou anti-
réaugmenter les doses très lentement et prudemment, par
dépresseur chez les déprimés), du fait de troubles de la
exemple d’un comprimé par semaine. On arrive générale-
personnalité associés (par exemple, alternances idéalisa-
ment ainsi à passer le cap de beaucoup d’effets indésirables,
tion/disqualification du baclofène chez les borderline), du
qui ne réapparaissent pas quand on ralentit la progression des
fait de l’observance du traitement (connue pour être particu-
doses. Il est bien connu que beaucoup des effets indésirables
lièrement mauvaise chez les malades mentaux en général),
du baclofène (c’est mentionné dans le Vidal) sont liés à une
ou encore du fait des bénéfices secondaires liés à l’alcoo-
augmentation trop rapide des doses. Chez les patients qui
lisme (exposition d’une souffrance pour mobiliser l’entou-
arrêtent leur traitement en alléguant des effets indésirables,
rage, etc.). Dans ces conditions, il n’est peut-être pas très
la question de leur motivation pour arrêter de boire se pose
étonnant d’avoir observé une moindre efficacité du baclo-
d’une façon évidente. Nous avons d’ailleurs observé des
fène chez les patients souffrant de troubles mentaux.
patients qui ont arrêté leur traitement en alléguant des effets
Les effets secondaires du baclofène ont constitué un autre
indésirables qui nous semblaient très mineurs. Autrement
obstacle à son efficacité. Dans l’étude sus-mentionnée por-
dit, c’est la motivation des patients pour arrêter de boire
tant sur 60 cas à trois mois, nous avions rapporté que plus de
qui est en question dans ces cas. Les patients suffisamment
80 % des patients avaient rapporté des effets indésirables.
motivés ne se découragent pas pour un effet indésirable, si
Avec un recul de près de deux ans, et plusieurs centaines
gênant soit-il, et suivent avec beaucoup d’attention les sug-
de cas analysés, ce pourcentage reste approximativement le
gestions qui leur sont faites de diminuer les doses pendant un
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6
certain temps, puis de réessayer une augmentation très lente
alcooliques passe par le récepteur gaba-B (un défaut de sti-
des doses. Il faut aussi noter, pour introduire le paragraphe
mulation de ce récepteur). Cela soulève la question des liens
suivant, que nous n’avons observé aucune addiction au
biologiques, et des différences, entre l’envie de boire et le
baclofène (sauf peut-être chez deux patients, mais l’addic-
craving. En effet, on note que, curieusement [16], le baclo-
tion au baclofène était discutable chez eux dans le sens où
fène n’a pas d’effet activateur dans la région du cerveau qui
ils étaient addictifs à pratiquement tous les psychotropes à
est classiquement la plus impliquée dans le craving le sys-
tème dopaminergique de plaisir mésoaccumbens, qui est lesite d’action de toutes les substances qui ont des propriétésaddictives. Cela devrait impliquer que la suppression de
l’envie de boire produite par le baclofène, ou l’indifférenceà l’alcool est le résultat de son action sur un système indé-
Le baclofène est un agoniste des récepteurs gaba-B (il existe
pendant du système dopaminergique de plaisir. Ce qui peut
dans le cerveau deux types de récepteurs au gaba, le gaba-A
être une surprise dans le sens où les neurobiologistes consi-
et le gaba-B). Le baclofène diffère ainsi des benzodiazépines
dèrent habituellement que ce système de plaisir a une posi-
utilisées dans le sevrage alcoolique, qui sont principalement
tion centrale dans la physiologie de la dépendance à l’alcool
des agonistes du récepteur gaba-A. Il n’existe pas d’autre
et dans son traitement [11]. C’est d’ailleurs sur ce système
agoniste des récepteurs gaba-B disponibles sur le marché.
que semblent agir la naltrexone et l’acamprosate. On sait
À l’exception du GHB (acide gamma-hydroxybutyrique),
néanmoins que la mise en place de la dépendance passe
non commercialisé en France, mais commercialisé dans
par plusieurs étapes, la première mettant en jeu spécifique-
d’autres pays européens, donc potentiellement disponible
ment le système dopaminergique mésoaccumbens, et les éta-
illégalement en France. Le problème du GHB est qu’il a
pes suivantes consistant en ce que l’on appelle la « transition
des effets indésirables qui peuvent être dangereux, c’est un
du système addictif », qui fait que l’envie de se procurer des
anesthésiant, un euphorisant, certains sportifs l’utilisent pour
substances devient largement dépendante d’autres structures
se doper, et il est addictogène. Sa célébrité lui vient surtout
cérébrales telles que l’amygdale en interaction avec certaines
de ce qu’il est le « médicament des violeurs ». Le GHB
régions du cortex préfrontal médian (orbitaire et cingulaire).
existe à l’état naturel dans l’organisme, en petites quantités,
Une fois mis en place, le système addictif reposerait donc sur
et il a des récepteurs spécifiques dans le cerveau. Il a été
deux systèmes biologiques, un système de plaisir modifié
montré que le GHB diminue le craving pour l’alcool chez
(avec en particulier des modifications des récepteurs dopa-
l’homme [6]. Ses effets physiologiques chez l’animal res-
minergiques D2 dans le striatum, responsables du craving) et
semblent beaucoup à ceux du baclofène, et l’activation
un système amygdalocortical modifié dans sa réactivité
qu’il produit dans les diverses régions du cerveau ressemble
(et responsable d’autres aspects de la dépendance). Ce der-
beaucoup à celle du baclofène, en particulier dans l’hypotha-
nier système est connu pour être impliqué dans la mémorisa-
lamus et l’amygdale [16]. En 2007, Ameisen a proposé
tion des expériences de plaisir ou de souffrance et dans leur
l’hypothèse selon laquelle l’alcoolisme pourrait être lié à
rappel en présence d’indices environnementaux qui ont une
un défaut de production endogène de GHB [3]. L’argumen-
relation avec ces expériences. La présence de récepteurs
tation d’Ameisen repose sur les éléments suivants : l’activité
gaba-B dans l’amygdale incite à soulever l’hypothèse selon
agoniste du GHB sur les récepteurs gaba-B, son effet anti-
laquelle ce serait en agissant à ce niveau que le baclofène
craving bien démontré, et le fait que le GHB, qui est sédatif,
exerce son effet thérapeutique dans l’alcoolisme. Et il est
anxiolytique et myorelaxant, pourrait avoir un effet théra-
intéressant, dans ce contexte, de signaler que la mémoire est
peutique spécifique sur les principaux symptômes de la
largement dépendante de mécanismes glutamatergiques dans
dépendance, qui sont l’insomnie, l’anxiété et la tension mus-
l’amygdale, et que le baclofène, en agissant sur les récepteurs
culaire. L’apport exogène de baclofène pouvant ainsi, selon
gaba-B, déclenche une cascade d’événements qui conduisent
cette hypothèse, pallier le manque de stimulation endogène
à une inhibition glutamatergique [12].
des récepteurs gaba-B par le GHB. À la différence du GHB,
L’amygdale est une des régions du cerveau les plus impli-
le baclofène agirait sélectivement sur les récepteurs gaba-B,
quées dans l’anxiété. Les récepteurs gaba-B dans le noyau
qui ne seraient pas impliqués dans le développement d’une
basolatéral de l’amygdale ont un rôle dans le contrôle des
dépendance, alors que le GHB a de nombreux sites d’action,
états anxieux. Quel que soit le traitement médicamenteux
dont certains sont susceptibles de participer à la mise en
qu’ils ont utilisé (en dehors du baclofène), les patients qui
ont arrêté de boire grâce à un traitement et à la volonté
Il n’existe donc en France qu’un seul agoniste sélectif du
rechutent dans l’année dans 80 % des cas (un pourcentage
récepteur gaba-B disponible sur le marché, le baclofène. Cet
comparable à celui obtenu avec un placebo). Il est assez
agoniste supprime l’envie de boire chez les alcooliques, ce
couramment admis que l’anxiété, le stress et les stimuli
qui implique logiquement que le l’envie de boire chez les
conditionnés sont les causes les plus courantes de
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6
rechute [9]. Sur le plan neurobiologique, la prise chronique
rité. La majorité des patients a éprouvé un sentiment de bien-
d’alcool aurait un effet stimulant sur les systèmes gabaer-
être sous baclofène, beaucoup ont parlé de sérénité, certains
giques et inhibiteur sur les systèmes glutamatergiques, et
ont présenté des symptômes manifestes d’euphorie légère
les rechutes seraient en rapport avec un déséquilibre entre
(ou d’hypomanie). Dans ce cadre des troubles de l’humeur,
ces deux systèmes durant le sevrage en alcool, où les
il faut aussi signaler que certains patients ont présenté des
systèmes gabaergiques sont insuffisamment stimulés et où
symptômes dépressifs (dont il est difficile de dire s’ils sont
les systèmes glutamatergiques deviennent hyperactifs. Les
attribuables au baclofène ou à d’autres éléments chez ces
rechutes pourraient survenir longtemps après le sevrage en
patients qui ont souvent de lourds antécédents de dépres-
alcool du fait de réponses mnésiques conditionnées, qui
sion). Ce qui ressort de ces données cliniques assez contras-
font intervenir le gaba et le glutamate dans l’amygdale. Les
tées, c’est que les effets du baclofène sont très différents d’un
circonstances sont l’exposition à un certain nombre de situa-
sujet à l’autre sur les plans de l’anxiété et de l’humeur. En
tions, telles qu’un indice de la consommation d’alcool
revanche, ce qui a toujours été très constant, c’est la mise en
présent dans l’environnement, ou une angoisse associée à
place d’une indifférence vis-à-vis de l’alcool (même si des
un conflit, ou à un sentiment d’abandon et de solitude, qui
différences interindividuelles ont été observées, comme
réactivent une souffrance du manque et produisent un besoin
décrit plus haut dans cet article). Si bien que ce qui pourrait
impulsif de consommer. L’angoisse est au centre de la
faire l’unité dans les effets du baclofène, c’est plus
rechute, toujours intimement liée à un déséquilibre entre
l’état d’indifférence vis-à-vis de l’alcool que son effet
ces deux neurotransmetteurs. Des études montrent d’ailleurs
anxiolytique. L’amygdale est connue pour son implication
que c’est plus la présence d’indices contextuels de consom-
dans l’anxiété, mais aussi pour créer un état de non-
mation d’alcool (et le besoin de calmer l’angoisse associée à
reconnaissance, ou d’indifférence, à l’égard de ce qui fait
ces indices) que le phénomène de craving lui-même qui est
naturellement peur. Une lésion bilatérale de l’amygdale,
associé aux rechutes. Dans ces conditions, il pourrait être
comme dans la maladie d’Urbach-Wiethe, produit des ano-
plus approprié de rapporter les effets du baclofène à ses
malies de la reconnaissance des expressions faciales, avec
effets anxiolytiques et à sa capacité à rendre indifférent à
une non-reconnaissance des stimuli socialement effrayants
l’alcool, qu’à un effet « suppresseur du craving ». L’angoisse
[1]. Un état d’indifférence vis-à-vis des stimuli effrayants
pourrait avoir pour corollaire la contrainte, ou le concerne-
peut être interprété comme une forme d’anxiolyse. Mais il
ment (l’angoisse implique que l’on est pathologiquement
y a certainement lieu aussi de distinguer anxiolyse et indif-
concerné par quelque chose), des phénomènes qui seraient
férence. Un large champ de recherches est donc ouvert par le
plus au centre de la rechute que le craving. L’effet du baclo-
baclofène : sa capacité à créer un état d’indifférence vis-à-vis
fène serait de produire un état de non-concernement pour
de l’alcool est-elle liée à son action sur l’amygdale ? Quel est
l’alcool et ses indices contextuels, autrement dit une indiffé-
le rôle d’autres régions du cerveau connues pour être impli-
rence vis-à-vis de l’alcool, contemporaine d’un effet anxio-
quées dans l’anxiété et dans lesquelles existent des récep-
lytique. La question à résoudre devient celle de savoir si le
teurs gaba-B (raphé, noyau du lit de la strie terminale,
baclofène rend indifférent à l’alcool parce qu’il a des effets
hypothalamus) ? Est-il bien vrai que le baclofène n’agit pas
anxiolytiques, ou si ses effets anxiolytiques sont indépen-
sur le système de plaisir (certaines données expérimentales
dants de sa capacité à rendre indifférent à l’alcool. Autre-
tendraient à montrer qu’il agit sur ce système) ? Quels sont
ment dit, pour comprendre le mode d’action du baclofène,
les liens entre anxiolyse et indifférence ? Quel est le rôle des
il sera nécessaire de disséquer les différents mécanismes, ou
récepteurs gaba-B dans l’amygdale dans cette indifférence ?
différentes composantes, qui participent à la rechute, qui
sont le craving, l’anxiété et les phénomènes d’indifférence/concernement vis-à-vis de l’alcool.
Des effets anxiolytiques du baclofène ont été retrouvés
dans certaines formes d’anxiété chez l’homme, en particulierdans les états stress post-traumatiques [8] (nous n’avons pas
Le baclofène apparaît cliniquement comme un médicament
trouvé de publication montrant que le baclofène aurait un
d’une extraordinaire efficacité dans le traitement de l’alcoo-
effet thérapeutique dans d’autres formes d’anxiété). Chez
lisme. Que les alcoologues le veuillent ou non, il faudra bien
l’animal, les effets anxiolytiques du baclofène sont contras-
un jour qu’ils le prescrivent. Il est très intéressant d’analyser
tés et pas toujours évidents (pour revue, voir [10]). Dans la
les raisons qui font que le baclofène est d’une efficacité
série de patients que nous avons traités, les effets anxioly-
totale chez plus de la moitié des alcooliques, mais que chez
tiques du baclofène étaient évidents chez beaucoup de
un bon tiers d’entre eux l’effet thérapeutique du baclofène,
patients, mais pas chez tous. Certains ont même rapporté se
même s’il est bien réel, reste incomplet. L’analyse des causes
sentir moins bien, plus anxieux et irritables, avec le baclo-
de ces « demi-succès » montre que tous les patients dépen-
fène. Ces derniers patients constituent néanmoins une mino-
dants à l’alcool ne le sont pas pour les mêmes raisons, et que
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2011) 9:1-6
certaines de ces raisons peuvent constituer des obstacles à
7. Chick J (2002) Naltrexone for 3 or 12 months in addition to
l’efficacité du baclofène. L’étude des mécanismes biolo-
psychosocial counselling did not reduce drinking in alcoholdependence. Evid Based Ment Health 5:80
giques par lesquels agit potentiellement le baclofène ouvre
8. Drake RG, Davis LL, Cates ME, et al (2003) Baclofen treatment
sur un nombre considérable de questions, qui mettent en
for chronic posttraumatic stress disorder. Ann Pharmacother
évidence la complexité et les multiples facettes du phéno-
9. Everitt BJ, Robbins TW (2005) Neural systems of reinforcement
for drug addiction: from actions to habits to compulsion. NatNeurosci 8:1481–9
10. Frankowska M, Filip M, Przegalinski E (2007) Effects of
GABAB receptor ligands in animal tests of depression andanxiety. Pharmacol Rep 59:645–55
11. Heinz A, Beck A, Grüsser SM, et al (2009) Identifying the neural
1. Adolphs R, Tranel D, Damasio AR (1998) The human amygdala
circuitry of alcohol craving and relapse vulnerability. Addict Biol
in social judgment. Nature 393(6684):470–4
2. Ameisen O (2005) Complete and prolonged suppression of
12. Pan BX, Dong Y, Ito W, et al (2009) Selective gating of glutama-
symptoms and consequences of alcohol-dependence using high-
tergic inputs to excitatory neurons of amygdala by presynaptic
dose baclofen: a self-case report of a physician. Alcohol Alcohol
13. Roberts DC, Andrews MM (1997) Baclofen supression of
3. Ameisen O (2007) Gamma-hydroxybutyrate (GHB)-deficiency in
cocaine self-administration: demonstration using a discrete trials
alcohol-dependence? Alcohol Alcohol 42:506
procedure. Physiopharmacology (Berl) 131:271–7
4. Ameisen O (2008) Le dernier verre. Denoël, Paris
14. Smith CR, LaRocca NG, Giesser BS, Scheinberg LC (1991)
5. Ameisen O, de Beaurepaire R (2010) Suppression de la dépen-
High-dose oral baclofen: experience in patients with multiple
dance à l’alcool et de la consommation d’alcool par le baclofène
à haute dose : un essai en ouvert. Ann Med Psychol 168:159–62
15. Stahl SM (2008) Stahl’s essential psychopharmacology. Cam-
6. Caputo F, Addolorato G, Lorenzini F, et al (2003) Gamma-
hydroxybutyric acid versus naltrexone in maintaining alcohol
16. Van Nieuwenhuijzen PS, McGregor IS, Hunt GE (2009) The dis-
abstinence: an open randomized comparative study. Drug
tribution of gamma-hydroxybutyrate-induced Fos expression in
rat brain: comparison with baclofen. Neuroscience 158:441–55
Bagels, Breads, and Rolls Wawa, Inc. has made reasonable efforts to provide ingredient information for each product based upon standard product formulations. This ingredient information may be affected by product changes, new product introductions or Fresh Bakeding, variations in sources of supply, regional differences, and/or seasonal differences. To customers with food allergies: Allergens ar
Eigenmann & Veronelli PRODUCTS for RUBBER Eigenmann & Veronelli – Paolo Bullani Who is Eigenmann & Veronelli? • E&V is a private, Italian, distributor and producer of specialty chemicals founded on 1910. • Turnover: more than 230 mln. of €. (194 people) • E&V is certified: - ISO 9001:2000 (reg. # IT 9882) - ISO 14001 (reg. # 5210) - OHS