POUR UNE LECTURE NEO-INSTITUTIONNELLE DES RELATIONS ENTRE PME ET GRANDE DISTRIBUTION Karim MESSEGHEM
Résumé : Cette contribution s’intéresse aux relations entre PME et grande distribution. Certains courants théoriques tels que la théorie des coûts de transaction et la théorie de la dépendance des ressources permettent de souligner la vulnérabilité des PME. Ce dernier courant contribue également à montrer qu’il existe une forme d’interdépendance entre PME et Grande distribution. Dans leur stratégie de différenciation, les grands distributeurs cherchent à proposer un assortiment original à partir de produits typiques ou innovants. Les marques de distributeurs qui ont connu au cours des vingt dernières un profond changement d’un point de vue quantitatif et qualitatif s’inscrivent dans cette stratégie. Les distributeurs peuvent s’appuyer sur le savoir-faire des PME pour concevoir et réaliser leurs produits. En ce sens les MDD offrent des perspectives de coopération aux PME. Cette politique qui se généralise peut être interprétée en termes de recherche de légitimité à l’aide du courant sociologique de l’approche néo-institutionnelle. L’objectif de cette contribution est de montrer que les relations entre PME et grande distribution peuvent dépasser l’affrontement en s’inscrivant dans une logique de coopération.
Mots-clés : PME, Grande distribution, coopération, opportunisme, isomorphisme, marque dedistributeur
FOR AN INSTITUTIONAL READING OF RELATIONS BETWEEN RETAILING AND SMES
Abstract :This article aims at highlighting the conditions of a partnership between major retailers andSMEs. Some theoretical frameworks such as Transaction Costs Economics, Resourcedependence may be useful to understand the vulnerability of SMEs. This last theoreticalframework also contributes to show that there is a form of interdependence between SME andretailing. In their differentiation strategy, the retailers seek to propose an original set startingfrom typical or innovating products. The retailers’ brand which knew during twenty last adeep change from a quantitative and qualitative point of view register in this strategy. Theretailers can rely on the know-how of SME to design and manufacture their products. Theretailers’ brand offer prospects for cooperation to SME. This policy which spreads can beinterpreted as the search for legitimacy using the institutional theory. The objective of thiscontribution is to show that the relations between SME and retailing can exceed theconfrontation while falling under a logic of cooperation.
Key Words : SMEs, Retailing, cooperation, opportunism, isomorphism, retailers’ brand
L’analyse des relations entre producteurs et distributeurs montre que des coopérations existentdans les domaines de la logistique, des marques de distributeur (Filser et al., 2001). Celles-cine sont pas réservées aux seules grandes entreprises. Les produits Reflets de France lancés en1996 par le groupe Promodès en sont une parfaite illustration. Plus d’une centaine de PMErégionales ont en effet été associées au lancement de cette gamme de produits. A côté de cesexemples de coopération réussis, subsiste une logique d’affrontement entre producteurs etdistributeurs que le législateur essaie de réguler. La loi Galland qui avait pour objectif deprotéger les fournisseurs a conduit paradoxalement à fragiliser leur position avec la dérive desmarges arrières. Selon l’ANIA, en 2003 ces marges arrières représentaient 31,5 % du chiffred’affaires net facturé1a circulaire du secrétaire d’Etat aux PME, au commerce et à laconsommation Renaud Dutreil qui réaffirme le cadre existant vise à en limiter les effetspervers en favorisant le transfert des marges arrières vers l’avant.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les motivations des distributeurs pour s’engagerdans des partenariats avec leurs fournisseurs. La recherche d’efficience ne justifie pas elleseule de telles pratiques. Il semble que les distributeurs cherchent également à travers lesexemples réussis de coopération à renforcer leur légitimité auprès des consommateurs, del’Etat ou encore des fournisseurs. L’objectif de cet article est de montrer que la recherche delégitimité des distributeurs constitue une justification aux relations de coopération nouées cesdernières années avec des PME. D’un point de vue théorique, nous allons mobiliser lestravaux classiques sur le pouvoir au sein du canal de distribution (Stern et al., 1996). Nousmontrerons qu’ils méritent d’être enrichis par le cadre néo-institutionnel (Meyer et Rowan,1977, DiMaggio et Powel, 1983 ; Scott, 1995). Le secteur de la distribution constitue en effetun champ organisationnel (Organizational field) au sens de DiMaggio et Powel caractérisé parun fort isomorphisme. Grewal et Dharwadkar (2002) défendent cette thèse en soulignant lemanque de travaux dans cette direction. Comme le notent ces auteurs, les travaux ont eutendance à privilégier une lecture économique en sous-estimant l’influence del’environnement institutionnel.
Nous proposerons tout d’abord une analyse du contexte concurrentiel en montrant que lesrapports entre distributeurs et producteurs évoluent sur un continuum dont les extrémités sontla transaction et la relation (Macneil, 1980). Nous mettrons en évidence la vulnérabilité desPME tout en soulignant l’interdépendance entre PME et distributeurs. Dans une deuxièmepartie, nous nous intéresserons au contexte institutionnel. Nous montrerons que la recherchede légitimité constitue un puissant moteur de la coopération entre grands distributeurs etPME. Nous centrerons notre analyse sur l’étude des marques de distributeurs qui peuventconstituer le théâtre de cette coopération. 1- ANALYSE DU CONTEXTE CONCURRENTIEL
Les grands distributeurs essaient de concilier une stratégie de domination par les coûts et unestratégie de différenciation (Pras, 1991). Ce contexte concurrentiel peut être interprété dupoint de vue des PME en termes d’opportunités et de menaces. Dans cette première partie,nous allons analyser les relations de pouvoir entre producteurs et distributeurs (1.1) enmontrant qu’elles sont sources d’opportunisme (1.2). Nous verrons cependant que les
1 Panel d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 5 Mds€ (hors MDD et premiers prix), pour un chiffre d’affaires total
stratégies de différenciation des distributeurs sont susceptibles d’enrayer ce processus encréant une interdépendance (1.3). 1.1- Le pouvoir dans les relations entre producteurs et distributeurs
Au cours des trente dernières années, la grande distribution alimentaire a accru son pouvoir etest même parvenue à renverser les relations de dépendance avec ses fournisseurs enprivilégiant une stratégie de domination par les coûts. Pour Dahl (1957), le pouvoir renvoie àla capacité d’un agent « à obliger un autre agent à adopter un comportement que cet agentn’aurait pas spontanément choisi ». Frazier (1999) insiste sur la dimension potentielle dansl’exercice du pouvoir ce qui le conduit à adopter une approche contingente. Ainsi, pour cetauteur, pouvoir et coopération ne sont pas nécessairement antinomiques. La mesure dupouvoir au sein du canal de distribution peut se faire en faisant référence soit aux sources depouvoir soit à la dépendance (Filser et al., 2001). L’analyse par rapport aux sources de pouvoir s’inscrit dans le prolongement des travaux deFrench et Raven (1959). Dans la relation entre PME et grande distribution alimentaire (GDA),les principales sources de pouvoir sont :- l’expertise : les distributeurs disposent d’un accès privilégié à l’information sur l’évolutiondes besoins des consommateurs grâce à leur intermédiation ou sur les structures de coûts desfournisseurs grâce à leurs marques de distributeurs,- la récompense : les distributeurs peuvent par exemple proposer à certains de leursfournisseurs la mise en oeuvre de contrats garantissant une durée ou un volume d’affaires,- et la sanction : même si la réglementation protège de plus en plus les fournisseurs en matièrede déréférencement, les distributeurs conservent la possibilité de mettre un terme à la relation.
Le pouvoir peut également être appréhendé en termes de dépendance. L’analyse des situations de dépendance est abordée par Pfeffer et Salancik (1978) dans leur théorie de la dépendance des ressources qui trouve ses fondements dans la théorie de l’échange social (Emerson, 1962). Selon ces auteurs, la volonté d’acquérir des ressources crée des relations de dépendance entre les organisations. Pour gérer ces relations, l’entreprise peut soit essayer de maîtriser les ressources critiques pour réduire sa dépendance, soit essayer d’exercer un contrôle sur les ressources qui accroissent la dépendance des autres organisations vis-à-vis d’elle. L’entreprise va donc chercher à renforcer son pouvoir sur son environnement en contrôlant certaines ressources. Pour apprécier la dépendance, Marchesnay (1979) suggère de retenir trois indicateurs : la concentration du flux d’échange qui représente la part relative du flux d’échange, la substituabilité, c’est-à-dire la possibilité pour l’acheteur de trouver rapidement d’autres sources d’approvisionnements et l’essentialité qui exprime le lien entre la survie de l’entreprise et le flux d’échange. L’analyse de ces variables permet de souligner le fort niveau de dépendance des PME face à la grande distribution. Ces vingt dernières années ont été marquées par un processus de forte concentration. Cette stratégie motivée par une recherche de taille critique a permis à la grande distribution d’accroître son pouvoir de négociation. Le développement des centrales d’achat a eu pour effet de modifier les relations entre grande distribution et producteur. Entre 1996 et nos jours, le nombre de grandes centrales d’achat a diminué de moitié en passant d’une douzaine à six (Tableau 1). Cette concentration observée dans le secteur de la grande distribution indique que la part du chiffre d’affaires réalisée avec une enseigne peut très vite devenir importante (Paché, 1996). Ainsi, une PME peut facilement réaliser plus de 20 % de son chiffre d’affaires avec un seul distributeur. Un déréférencement serait susceptible de
remettre en cause la pérennité de l’entreprise d’autant que les autres distributeurs pourraientl’interpréter comme un signal négatif. Tableau 1- Parts de marché des centrales d’achats (PGC et FLS) Centrales Carrefour d’achats (Casino) Entreprises Enseignes Part de marché en valeur en 2002 (1)
(1) Source LSA, n° 1822, juillet 2003.
Le renforcement de la dimension coercitive du pouvoir s’explique également par les stratégiespoursuivies par les distributeurs. Les grands distributeurs ont eu tendance à privilégier unepolitique de domination par les coûts pour asseoir leur développement. Le prix est redevenuune arme concurrentielle ces dernières années en raison de la forte sensibilité desconsommateurs à cette variable du mix (Pras, 1997). Pras (1997) note par exemple quel’élasticité prix est dix à vingt fois supérieure à l’élasticité publicité. Les distributeurscherchent donc à s’engager sur les prix les plus bas. Cette sensibilité au prix expliqued’ailleurs le succès du hard discount qui détient en France une part de marché de plus de 11 %en valeur sur l’ensemble produit de grande consommation et frais libre-service (PGC etFLS). Si les grands distributeurs tels que Carrefour, Géant disposent de telles enseignes (ED,Leader Price), il n’en reste pas moins que cette offre des prix les plus bas se retrouveégalement au niveau des enseignes traditionnelles. Au plan tactique, la promotion devient unélément essentiel de la politique du distributeur (Ailawadi, 2001). Carrefour s’engage parexemple sur certaines périodes à proposer les prix les plus bas sur des produits particuliers età rembourser la différence. Carrefour a retenu cette politique de prix pour essayer de limiterl’érosion de sa part de marché en France face à un groupe comme Leclerc qui est devenuleader sur ce marché en proposant à ses clients les prix les plus bas.
La stratégie de domination par les coûts conduit les distributeurs à maîtriser leurs coûtsd’acquisition et à améliorer leurs marges, ce qui peut se traduire pour les PME par desconditions de vente défavorables. En particulier, les pratiques de marges arrières, qui se sontgénéralisées avec la loi Galland « sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales »(1996), fragilisent les PME. Cette situation de domination peut favoriser l’apparition decomportements opportunismes.
2 Source LSA, Etude TNS-Secodip, N° 1813, mai 2003. 3 « Entre juin 2000 et juin 2001, Carrefour aura été l’enseigne la plus « généreuse » en terme de « don » de clientèle à la
concurrence, selon Sécodip. Son éternel rival, Leclerc en aura été le premier bénéficiaire. Il récupère 20 % des flux dechiffre d’affaires sortants. Au total, Carrefour participe pour plus de 50 % aux gains engrangés par Leclerc » (Source :Linéaire.com). 1.2- L’opportunisme dans les relations entre distributeurs et producteurs
De nombreux travaux s’intéressent à l’opportunisme au sein du canal de distribution (Brownet al., 2000 ; Wathne et Heide, 2000) en s’appuyant notamment sur l’analyse des coûts detransaction (Williamson, 1975, 1985, 1991). Selon Williamson, l’opportunisme constituel’une des principales hypothèses comportementales au côté de la rationalité limitée. L’opportunisme peut être défini comme la recherche de ses intérêts propres en utilisant desvoies qui ne sont pas loyales et qui peuvent aller jusqu’à la tromperie. Il conduit à accroîtreles coûts de transaction.
L’opportunisme peut se manifester ex ante c’est-à-dire au cours de la phase de négociation. Les parties peuvent s’engager que ce soit en termes de délai, de qualité ou de coût tout en ensachant qu’elles ne pourront pas tenir leurs obligations. Cette forme d’opportunisme due à uneasymétrie informationnelle fait référence au problème de sélection adverse (Ackerlof, 1970). Pour un distributeur, le danger lors du référencement d’une PME réside dans la difficultéd’apprécier la capacité de cette entreprise à proposer des volumes suffisants ou une qualitéhomogène. L’opportunisme ex post qui apparaît au cours de l’exécution du contrat correspondà un problème de moral hasard (Ackerlof, 1970). Il peut se manifester lorsque l’un despartenaires est amené à réaliser des investissements spécifiques. Ces investissementsconcernent des actifs physiques ou humains consacrés à une relation particulière etdifficilement redéployables. Si une PME accepte de fabriquer des produits sous marque dedistributeur, cette entreprise va sans doute devoir s’inscrire dans une logique de croissance enréalisant des investissements pour accroître son échelle de production. Il lui sera donc difficilede sortir de la relation car elle supportera une contrainte en termes de volume de production. Illui faudra maintenir un niveau d’affaires suffisant pour rentabiliser ses équipements. CettePME pourra être victime d’un comportement post-contractuel opportuniste que Klein,Crawford et Alchian (1978) qualifient de hold-up. Le distributeur pourra en effet négocier,voire imposer, des conditions moins favorables en termes de coûts d’achat, sachant que sonfournisseur est enfermé dans la relation. Cette situation favorable à l’expression del’opportunisme du distributeur constitue également pour celui-ci une protection contrel’opportunisme de son fournisseur. Ce dernier sera en effet poussé à adopter un comportementloyal pour éviter tout déréférencement.
Pour Wathne et Heide (2000), il existe de nombreuses stratégies de gouvernance pour gérerl’opportunisme. Les solutions classiques pour réduire l’opportunisme peuvent consisternotamment en l’intégration verticale ou en la mise en place de systèmes de contrôle. Ellesconcernent aussi bien les PME que la grande distribution comme le suggère le tableausuivant. Tableau 2- L’opportunisme dans la relation entre PME et grande distribution Distributeur
Développer un système de distribution Intégration / Mise en concurrence des
Solutions
(Franchise, Vente directe) / Autres fournisseurs / dispositifs de contrôlemodes de distribution / Exportation
Pour les distributeurs, la solution la plus facile passe par une mise en concurrence desfournisseurs. Le recours à des contrats périodiquement renouvelables permet ainsi de mettresous tension les fournisseurs. L’intégration amont semble difficile dans la mesure où la
grande distribution gère un très grand nombre de produits. Elle privilégie plutôt des relationsde type donneurs d’ordres / sous-traitants. Pour réduire l’opportunisme, le distributeur peutnéanmoins supporter lui-même des investissements spécifiques. Il existe quelques casd’intégration verticale comme l’illustre l’encadré suivant. L’intégration permet au distributeurde bénéficier d’une proximité entre les lieux de production et les lieux de vente, elle permetaussi d’assurer une meilleure traçabilité des produits. De plus, la compétence développée dansle domaine de la production peut être mise à profit pour contrôler les sous-traitants en termesde coûts et de qualité. Encadré 1 : Cas d’intégration verticale Intermarché pratique l’intégration verticale en particulier dans les domaines de la viande, des produits de la mer et de la pâtisserie industrielle. La transformation alimentaire dégage un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros ce qui représente 5% de l’ensemble des activités du groupement. Dans les secteurs de la viande, sa filiale SVA (Société Vitréenne d’Abattage) comprend 18 sites industriels dont quatre dédiés à la transformation. Dans le secteur de la pêche, le groupe d’indépendant est devenu l’un des premiers armateurs en France. Il détient notamment quatre usines de transformations dont deux dédiées à la marque Capitaine Cook rachetée en 1988. En 2003, il a décidé de se lancer dans la pâtisserie industrielle à partir d’une unité située en Ille-et-Vilaine qui comprend deux cents salariés et qui fabriquera chaque année 1 200 tonnes de gâteaux et autres pâtisseries.
Pour se protéger de l’opportunisme des PME, les distributeurs s’appuient également sur desdispositifs de contrôle et d’incitation. Le contrat peut être un moyen de se protéger en cas dedéfaillance du fournisseur. Le contrat peut ainsi prévoir des sanctions en cas de non respect decertaines clauses (Paché et des Garets, 1997). La durée du contrat et en particulier lecaractère renouvelable peut constituer une forte incitation (Baudry, 1995). Le groupe Auchanpropose par exemple aux PME deux types de contrat : les contrats de deux ans et les contratsdynamiques de chiffre d’affaires. Les distributeurs peuvent inciter leurs fournisseurs àenvoyer un signal qui témoigne de la fiabilité du produit. Ce signal peut prendre la forme del’adoption d’un système de mangement de la qualité de type ISO 9000 ou d’une certificationproduit. La grande distribution sera sans doute d’autant plus encline à travailler avec desentreprises certifiées que cela lui permettra de réduire les contrôles et audits qu’elle exerce surces entreprises.
Les PME ne disposent pas des mêmes ressources pour réduire le risque d’opportunisme deleurs partenaires. Elles peuvent sortir de la relation en privilégiant d’autres modes dedistribution. Cette stratégie d’évitement peut se concevoir en particulier pour des entreprisesqui réalisent des produits hauts de gamme pour lesquels il existe des modes de distributionalternatifs qui vont de l’épicerie fine au commerce électronique.
4 Paché et des Garets (1997) citent une des clauses du contrat rédigée par Auchan concernant les retards de
livraison : « Dans le cas d’une non-livraison à date de tout ou partie de la marchandise, Auchan se réservele droit d’annuler tout ou partie de l’ordre concerné, ou de l’accepter en réclamant le versement d’uneindemnité de retard évaluée en pourcentage de la valeur de la marchandise non livrée à date ». 1.3- De la transaction à la relation
La théorie des coûts de transaction se révèle particulièrement adaptée pour comprendre ladimension conflictuelle dans les relations entre PME et grande distribution. Elle faitcependant l’objet de nombreuses critiques qui concernent notamment la place accordée àl’opportunisme (Ring et Van de Ven, 1994 ; Ghoshal et Moran, 1996). Elle conduit ainsi ànégliger l’importance de la confiance dans les relations interentreprises. Or, pour que lesentreprises continuent à innover, à proposer des produits originaux, cela suppose de dépasserles relations transactionnelles et de s’inscrire davantage dans des relations de coopération(Dwyer et al., 1987 ; Dyer et Sing, 1998 ; Frazier, 1999). Il peut ainsi naître une formed’interdépendance entre les PME et la grande distribution.
La littérature marketing consacrée aux relations entre producteurs et distributeurs permetd’éclairer cette évolution qui marque le passage du marketing transactionnel au marketingrelationnel. Le marketing transactionnel qui trouve ses fondements dans la théorienéoclassique place l’échange au cœur de l’analyse (Bagozzi, 1975). Cette conceptions’applique à des relations interentreprises ponctuelles et qui s’inscrivent dans une logiqued’affrontement. Si cette forme de relations s’observe encore, il n’en reste pas moins qu’elletend à être remise en cause dans de nombreux secteurs depuis une vingtaine d’année (Baudry,1995 ) dans la mesure où elle constitue un frein à l’apprentissage interorganisationnel (Hamel,1991 ; Ingham, 1994 ; Mowery et al., 1996). Le marketing relationnel s’est développé au cours des années 80 et 90 en mettant l’accent surla coopération (Grönroos, 1996). Il est issu des travaux consacrés au marketing des services(Grönroos, 1990) et des réflexions proposées par le groupe IMP (Hakanson et al., 1982). Selon Grönroos (1996, p. 7), le marketing relationnel consiste « à identifier, établir, mainteniret favoriser des relations avec des clients et d’autres parties prenantes, de façon profitable,de telle façon que les objectifs de toutes les parties soient atteints ; ce qui se réalise par unéchange mutuel et un accomplissement de promesses ». Dans cette conception, les relationss’inscrivent dans la durée et dès lors la transaction n’est plus au cœur de l’analyse. Lesconcepts importants deviennent la confiance (Anderson et Narus, 1990 ; Heide, 1994 ;Andaleeb, 1996 ; Guibert, 1999) et l’engagement (Dwyer et al., 1987, Morgan et Hunt, 1994).
Certains auteurs considèrent que le marketing relationnel se substitue au marketingtransactionnel (Dwyer et al., 1987 ; Morgan et Hunt, 1994 ; Grönroos, 1996). Ces deuxparadigmes sont plutôt complémentaires. Les logiques transactionnelles et relationnellesapparaissent comme les extrémités d’un même continuum (Macneil, 1980). L’analyse desrelations entre grande distribution et PME illustre cette dualité. S’il existe des exemples decoopération, certains dirigeants de PME continuent à se plaindre des conditions qui leurs sontimposées. Le poids de chacune de ces logiques dépend de la nature du bien. Selon Paché etdes Garets (1997), une même relation peut osciller entre ces deux logiques. Ils proposentd’étudier la relation entre producteurs et distributeurs en reprenant la distinction proposée parBowerox et Morash (1989), entre le canal transactionnel qui concerne la négociation destermes de l’échange, le transfert de propriété, la commande et le règlement des biens échangéset le canal logistique qui fait référence au transfert physique et aux différentes opérations denature logistique. Selon ces auteurs, la coopération ne peut concerner que le volet logistique. Bonet (1998) défend également cette thèse : « Alors que la relation transactionnelle force lesagents à se battre sur les conditions de l’échange et le partage de la valeur ajoutée, la gestiondes flux qui suivent la transaction peut à l’inverse bénéficier d’un climat coopératif ».
Le développement du marketing relationnel doit être mis en perspective avec les stratégies dedifférenciation poursuivies par les distributeurs. Les distributeurs essaient en effet de concilierdomination par les coûts et différenciation. Les distributeurs cherchent à limiter lescomportements versatiles des consommateurs en mettant en place des dispositifs defidélisation et en différenciant leurs assortiments. La plus part d’entre eux ont adopté dessystèmes de carte de fidélité ou des systèmes de promotion du type Ticket Cash Carrefour. Reicheld (1993) justifie ces stratégies de fidélisation en montrant qu’il est moins coûteux deconserver un client que de chercher à en recruter de nouveaux. Cette stratégie que l’on peutqualifier de défensive n’en est pas moins proactive. En effet, comme le souligne Reichheld(1993), les entreprises qui retiennent ces stratégies ont tout intérêt à adopter une logiqueentrepreneuriale, notamment en proposant de nouveaux produits. Les marques de distributeurspeuvent être utilisées par ces derniers pour se différencier d’autant plus qu’elles représententselon les produits plus de 20 % de part de marché (Filser et al., 2001). La grande distributionpeut avoir intérêt à référencer des produits proposés par des PME dans la mesure ces produitsqui présentent un caractère typique ou innovant contribuent à renforcer l’originalité del’assortiment des distributeurs.
Cette première partie nous a permis de souligner la fragilité des PME dans leurs relations avecla grande distribution alimentaire. Nous avons néanmoins montré qu’il pouvait exister uneforme d’interdépendance entre ces deux formes d’organisation. Nous allons à présent explorerles voies de la coopération entre PME et grande distribution. 2- LES VOIES DE LA COOPERATION
La concentration observée dans le secteur de la grande distribution pousse les distributeurs àse différencier en termes d’assortiment. Si le prix continue à jouer un rôle déterminant,l’évolution de la consommation contraint les distributeurs à développer de nouveaux conceptsen s’appuyant notamment sur les compétences de PME. Les marques de distributeurs sontrévélatrices de cette évolution. Cette situation crée une interdépendance entre PME et grandedistribution. Si la plupart des distributeurs cherchent à développer des relations decoopération avec des PME, cela ne traduit pas seulement une recherche d’efficacité maiségalement une recherche de légitimité qui peut être appréhendée à l’aide de l’approche néo-institutionnelle. 2.1- Une recherche de légitimité
Nous avons privilégié jusqu'à présent une lecture économique de la relation entre PME etgrande distribution. Nous proposons de retenir une lecture sociologique pour justifier ledéveloppement de relations de coopération. La coopération proposée à des PME peut en effetêtre interprétée comme une recherche de légitimité de la part de la grande distribution. Grewalet Dharwadkar (2002) suggèrent également de s’appuyer sur le cadre néo-institutionnel pourcomprendre les relations interentreprises au sein du canal de distribution.
5 La notion de différenciation présentée par Porter (1980) correspond à la notion de démarcation évoquée Koenig (1996).
Elle consiste à proposer au client quelque chose qu’il perçoit comme unique à partir d’un système d’offre équivalent(différenciation stratégique) ou non (distinction) à ceux des concurrents.
Le secteur de la grande distribution alimentaire peut être considéré comme un champorganisationnel (organizational field) au sens de DiMaggio et Powel (1983). Pour ces auteurs,un champ organisationnel peut être défini comme un domaine reconnu de vie institutionnellequi comprend des organisations comme « les fournisseurs clés, les consommateurs deressources et de produits, les agences de régulation et les autres organisations qui produisentdes services ou des produits similaires » (DiMaggio et Powel, 1983, p. 148). Il est àrapprocher de la notion d’industrie proposée par Porter (1980) même si il la dépasse puisquel’accent est mis aussi bien sur les forces concurrentielles que sur les forces institutionnelles. DiMaggio et Powel (1983) montrent que les organisations qui appartiennent à un champorganisationnel ont tendance à se ressembler. Pour décrire ce processus d’homogénéisation,ces auteurs utilisent un concept écologique : l’isomorphisme. Les changements de pratiquesobservés au sein du secteur de la grande distribution laisse penser qu’il existe un fortmimétisme. Filser (1998) évoque cette forte propension à l’imitation : « La difficulté dedévelopper un avantage concurrentiel durable dans le secteur de la distribution a étéreconnue de longue date par les chercheurs en gestion (Tigert, 1980 ; Charlot, 1981). Cettedifficulté résulte principalement de la difficulté de contrôler durablement une innovation. Undistributeur qui maîtrise avec succès un nouveau format de magasin ou une politiquecommerciale originale est très vite imitée par ses concurrents » (p. 3).
Pour DiMaggio et Powel (1983), l’isomorphisme peut être concurrentiel ou institutionnel. L’écologie des populations s’intéresse uniquement à l’isomorphisme concurrentiel (Hannan etFreeman, 1977). Ce facteur n’est pas suffisant pour DiMaggio et Powel pour expliquerl’évolution moderne des entreprises. Selon eux, « organizations compete not just forresources and customers, but for political power and institutional legitimacy, for social aswell as economic fitness » (p. 150). L’isomorphisme dans un champ concurrentiel n’est doncpas lié nécessairement à une recherché d’efficacité, mais plutôt à une recherche de légitimité. DiMaggio et Powel décrivent trois mécanismes à travers lesquels l’isomorphismeinstitutionnel s’exprime
: l’isomorphisme coercitif, l’isomorphisme mimétique et
- L’isomorphisme coercitif a deux origines. Il s’explique tout d’abord par les pressionsformelles et informelles exercées sur une organisation par les autres organisations desquelleselle dépend. Cette première origine correspond aux explications proposées par la théorie de ladépendance des ressources. Il s’explique ensuite par les attentes culturelles de la société dans laquelle l’organisationévolue. DiMaggio et Powel font référence à l’environnement légal qui est susceptibled’affecter le comportement des organisations. La grande distribution subit les pressionsexercées par l’Etat à travers par exemple la loi Galland (1996) et la loi sur la nouvellerégulation économique (2001). Un consensus s’est dessiné dans la profession pour que la loiGalland soit aménagée pour en supprimer ses effets pervers. Les marges arrières constituentune pratique qui s’est généralisée dans les relations entre producteurs et distributeurs. L’ANIA (Association nationale des industries alimentaires) et la FCD (Fédération desentreprises du commerce et de la distribution) ont ainsi proposé une recommandation (2002)visant à limiter la progression des marges arrières et à renforcer les promotions et lesavantages commerciaux destinés aux consommateurs. Le législateur est intervenu dans ce
6 La loi NRE prévoie la création de la commission d’examen des pratiques commerciales (article 51). « La commission apour mission de donner des avis ou formuler des recommandations sur les questions, les documents commerciaux oupublicitaires, y compris les factures et contrats couverts par un secret industriel et commercial et les pratiquesconcernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs, revendeurs qui lui sont soumis ».
débat avec la circulaire Dutreil (2003) qui considère implicitement que la régulation par laprofession n’est pas suffisante pour stabiliser la progression des marges arrières. Encadré 2- La circulaire Dutreil (J.O n° 121 du 25 mai 2003) Ce texte a pour objet de préciser le cadre juridique de l'action administrative, qui résulte de la loi Galland et de la loi sur les nouvelles régulations économiques. Il réaffirme le principe de l’interdiction de revente à perte. Le principal objectif de ce texte est de mettre un terme à la dérive des marges arrières. Ce texte vise également d’après son promoteur à protéger les PME : « En réalité ce sont les 8 000 PME représentant 90 % des fournisseurs de la distribution qui ont le plus souffert de cette dérive : elles n’ont pas, comme certains grands groupes, la capacité de répercuter dans leurs prix de vente les augmentations de coopération commerciale qui seraient demandées par les enseignes. Ce sont donc d’abord les PME qui bénéficieront du rééquilibrage de la négociation que la circulaire souhaite encourager » (Renaud Dutreil, LSA, N° 1818, juin 2003).
Pour plaider sa cause, la grande distribution souligne le rôle qu’elle joue dans ledéveloppement des PME que ce soit au niveau national ou international en leur proposant unlarge accès au marché.
- L’isomorphisme mimétique s’observe en situation de forte incertitude. Les organisationspeuvent être tentées d’imiter une organisation qui semble avoir réussi ou qui bénéficie d’uneforte légitimité. Dans l’agroalimentaire, les crises liées à la sécurité alimentaire ont conduit lesdistributeurs à privilégier de nouvelles filières telles que la filière bio. Pour renforcer laconfiance des consommateurs, la plupart des distributeurs proposent également des gammesde produits traditionnels du terroir : « Reflets de France » (Carrefour-Promodes), « Nosrégions ont du talent » (Leclerc) ou encore « Le savoir des saveurs » (Système U). Le succèsde la marque « Reflets de France » a sans doute incité les concurrents du groupe Promodès àproposer des marques de distributeurs dans ce domaine. La grande distribution accroît ainsi salégitimité en assurant la promotion de produits réalisés par des PME locales. Encadré 3- Les produits « Reflets de France » Promodès a lancé en 1996 les produits « Reflets de France » en faisant appel à une centaine de PME qui fabriquent des produits caractérisés par une forte tradition locale. Ce distributeur a défini des critères rigoureux de sélection qui portent sur la qualité intrinsèque et extrinsèque du produit (notoriété et image du produit). Ces produits régionaux ont connu un grand succès puisque le chiffre d’affaires est passé en quatre ans de 25 millions d’euros à 150 millions d’euros. Le groupe Carrefour-Promodès s’est fixé comme objectif d’atteindre un chiffre d’affaires d’environ 750 millions d’euros d’ici 2005. (La Tribune - édition du 12/12/2000).
- L’isomorphisme normatif s’explique par ce que DiMaggio et Powel nomment laprofessionnalisation des organisations. Les professionnels d’une organisation à l’autrepartagent un certain nombre de références, de cadres théoriques dans la mesure où ils ontfréquenté les mêmes écoles et les mêmes universités. Cette proximité et cette socialisationsont renforcées dans le cadre des associations professionnelles qui jouent un rôle importantdans la diffusion d’idées le développement de certaines pratiques. La fédération desentreprises du commerce et de la distribution met en avant dans sa communication lescoopérations réussies entre PME et grandes enseignes. Ces associations contribuent audéveloppement de réseaux de paires qui favorisent l’échange d’expériences. Carrefour etAuchan sont membres de l’association Partenariat France qui regroupe une trentaine de
groupes français internationaux Ils mettent à disposition de PME leur expérience àl’international. Ce type de collaboration renforce l’image d’entreprise citoyenne que certainesenseignes essaient de promouvoir et contribue à légitimer certaines de leurs actions commel’illustre l’encadré suivant. Encadré 4- La PME instrument de légitimité Les distributeurs Auchan et Casino ont créé ensemble en novembre 2002 la société IRTS (International Retail and Trade Services). Cette société est chargée de négocier des prestations de services avec leurs 100 plus grands fournisseurs. Il s’agit de répondre à la demande des fournisseurs pour développer de nouveaux produits dans le cadre d’opérations promotionnelles communes. IRTS n’est pas présentée comme une nouvelle centrale d’achat, mais comme un rapprochement avec les fournisseurs qui doit permettre notamment au niveau européen une harmonisation des prix à la baisse. Auchan et Casino évoquent une autre justification permettant de renforcer la légitimité de cette opération. Cette structure vise également à proposer un accompagnement aux PME dans les 26 pays où ils sont présents. 2.2- Les MDD : nouvelle forme de coopération
Les marques de distributeurs peuvent donner l’occasion à la grande distribution de nouer desrelations de coopération avec certains de ses fournisseurs et en particulier avec des PME. D’ailleurs les marques de distributeur ont souvent été conçues pour remettre en cause lepouvoir des grands producteurs. Kremer (2000) montre que cette stratégie permet de modifierla structure du marché en relançant la concurrence entre les marques nationales. L’auteur citel’exemple de Leclerc qui a longtemps été réservé par rapport aux MDD. Les lancements detels produits par la Scamark, société du groupement chargée des MDD, ont ainsi été réaliséssur les marchés où la marque nationale leader atteignait plus de 20 %.
Si les marques de distributeurs sont présentes en France depuis près d’un siècle (Dépôt de lamarque Casino le 7 avril 1904), elles sont devenues un véritable enjeu dans les relations entreproducteurs et distributeurs au cours des années 1970. Carrefour a lancé en 1976 les« produits libres » qui étaient caractérisés par l’absence de référence explicite à l’enseigne etpar la simplicité du packaging. Il s’agissait de produits de première nécessité proposés à unprix bas. Ils s’inscrivaient dans une idéologie consumériste dont le credo était de lutter contrela vie chère. Lorsque ces produits ont été développés, la volonté était de revenir à l’essence duproduit, à sa valeur utilitaire et fonctionnelle, en supprimant le discours qui l’accompagne(Heilbrun, 1998). La grande distribution a longtemps considéré que la principale attente desconsommateurs était la recherche de produits bon marché. La grande distribution a assis sondéveloppent sur ce postulat. Pour Moati (1998, p 6), « ce postulat a longtemps porté lesacteurs de la grande distribution à considérer les consommateurs comme un ensemblehomogène et à négliger l’élaboration de véritables stratégies marketing ». Il a favorisél’émergence d’une forme particulière de MDD très proche des produits premiers prix.
Les distributeurs se sont progressivement écartés de cette idéologie en reconnaissant ladimension existentielle de la consommation. Dans ce paradigme, le produit ne se réduit pas àses caractéristiques intrinsèques et la consommation ne doit plus être considérée comme unesimple destruction (Boyer, 1999). La remise en cause de ce postulat se justifie dans leparadigme postmoderne (Brown, 1993 ; Firat et Venkatesh, 1995 ; Maffesoli, 1999 ; Pras,1999). Pour le postmodernisme, le consommateur évolue « dans un monde de contradictionsconstruit par ses productions de signes, engagés dans des construits non linéaires et dans descomportements improbables, contingents ou discontinus
consommateur est plus difficile à cerner, il peut être qualifié de caméléon (Dubois, 1996),voir d’entrepreneur (Rochefort, 1997). Plusieurs explications peuvent être retenues pourexpliquer ce changement de comportement. Les premières tiennent à l’évolution des marchésqui se révèlent plus ouverts et plus transparents. Les consommateurs ont par exemple accès àune plus grande diversité de produits en particulier à des produits peu référencés grâce aucommerce électronique. D’autres facteurs peuvent être avancés pour justifier l’infidélité et enparticulier la recherche de variété (Aurier, 1991). Le consommateur peut changer de marquesans que cela ne traduise une diminution de la satisfaction à l’égard de celle-ci. Cecomportement se justifie d’autant que le consommateur peut rechercher de la stimulation dansl’achat de ses produits. Ce niveau de stimulation dépend des caractéristiques de l’individu,des catégories de produits et des différences perçues entre les marques (Bon et Tissier-Desbordes, 2000).
La grande distribution a pris toute la mesure de ces évolutions en donnant un nouveaucontenu à ses marques de distributeurs. Les produits proposés aujourd’hui sont très éloignésdes produits libres de Carrefour. Les distributeurs ont procédé à une extension de leur marqueen couvrant de nouveaux domaines tels que les activités de service (Assurance, Crédit…) eten proposant des produits à haute technicité et à forte valeur ajoutée. Les marques dedistributeurs expriment dans certains cas des valeurs sociétales. Par exemple, Carrefour adéveloppé une gamme Bio, de même Auchan labellise les produits issus de l’agricultureraisonnée. Ce type de politique qui mêle éthique et qualité ne peut se concevoir que dans lecadre de relations de coopération. Le tableau suivant inspiré par Heilbrun (1998) résume cetteévolution et permet de repérer les différents stades franchis par les marques de distributeurs. Tableau 3- L’évolution des marques de distributeurs 1ère génération génération génération génération Type de marque Principale orientation stratégique Technologie Image / qualité
marque du leader marque du leader marque du leader
Les marques de distributeurs ont connu un fort développement en termes de part de marché aucours des trente dernières années. Elles représentent aujourd’hui plus de 20 % des ventes avecde très grandes différences selon les catégories de produits. Ce chiffre reste très en retraitcomparé à la part de marché des MDD en Grande-Bretagne qui dépasse les 40 %. Il s’agitsans doute d’un seuil maximal à ne pas dépasser car au-delà le choix du client en magasindevient trop faible. Les MDD sont donc susceptibles de connaître en France encore une forteprogression grâce notamment aux produits de quatrième génération. Pour Bon et Tissier-Desbordes (2000), le succès de ces produits s’explique par la prise de conscience desconsommateurs au cours des années 90 que l’écart de prix demandé par le leader n’est plusjustifié. Les MDD de quatrième génération cherchent à répondre aux nouvelles attentes desconsommateurs notamment en termes de variété, de garantie ou encore d’innovation. LesPME semblent en mesure de fabriquer des produits de la quatrième génération. Ce choix a étéréalisé par Promodès avec les produits Reflets de France. Cette stratégie de coopération n’estpas accessible à toutes les PME. Seules celles qui font preuve d’une réelle orientationentrepreneuriale sont en mesure de relever ce défi.
La grande distribution en développant ces relations cherche à bénéficier du potentielentrepreneurial des PME à travers leur capacité à développer de nouveaux produits. L’étudemenée par Panel Internation et PHB Consultant en 1999, montre que 46 % des innovationslancées au cours des cinq dernières l’ont été par des PME (Points de Vente N° 779, 1999). Lagrande distribution a besoin de renouveler ses produits pour faire face à la recherche devariété des consommateurs et au raccourcissement du cycle de vie des produits (Bon etTissier-Desbordes, 2000). Elle cherche également à se différencier en s’appuyant sur sesmarques de distributeurs. Pour Kapferer (1999), il convient de « nourrir cette marqued’innovations permanentes ». La grande distribution ne peut pas être force de proposition entermes d’innovation pour l’ensemble de ses produits. Jean (1998) note que l’innovation est unmoyen pour rééquilibrer les relations entre industriels et distributeurs. Selon lui, « ellecontribue à modifier sensiblement la nature et la répartition des pouvoirs entre les acteurs »(p 55). La grande distribution est ainsi amenée à s’appuyer sur les compétences de sesfournisseurs. Elle peut ainsi offrir à des PME l’opportunité de faire découvrir leurs nouveauxproduits à un large marché. Si les PME ont une capacité à innover, elles ne disposent pastoujours des moyens suffisants pour l’exploiter. L’échange entre PME et grande distributionpermet de partager les coûts et de répartir les gains.
Il s’agit également pour les PME d’un enjeu organisationnel. Si la réussite de cescoopérations repose sur la qualité des informations communiquées par la distribution à sesfournisseurs, elle dépend aussi de la capacité des PME à les intégrer. L’engagement dans desrelations de coopération suppose de la part des PME une forte capacité d’absorption queCohen et Levinthal (1990 : p 128) définissent comme « la capacité d’une entreprise àreconnaître la valeur d’un nouveau savoir externe, à l’assimiler et à l’appliquer à des finscommerciales ». Cette capacité à apprendre et à désapprendre peut être améliorée grâce à laformation ou grâce à la mise en place de dispositifs organisationnels tels que les groupes deprojet. Barth et Auble (2000 : p 7) insistent sur le développement de novelles compétenceschez les fournisseurs : « l’objectif est de mettre en face de ces nouvelles structures d’achatdes structures de vente adaptées. Cette mutation passe par la constitution d’équipespluridisciplinaires chez le fabriquant, des équipes intelligentes qui se caractérisent par lacapacité des individus qui les composent à travailler en coopération les uns avec les autres, àéchanger des information, à s’éduquer réciproquement, à construire ce que l’on appelle unecompétence collective ». Les PME doivent donc être capables de développer une véritable
compétence relationnelle au sens de la théorie des ressources (Dwyer et Singh, 1998 ; Combset Ketchen, 1999). Elles doivent notamment être en mesure de collaborer avec les services dedéveloppement et d’étude marketing des distributeurs en s’appuyant sur des approches detype Trade Marketing (Dupuis et Tissier-Desbordes, 1996). CONCLUSION
Cette contribution nous a permis de souligner les enjeux d’une coopération entre PME etgrande distribution. Nous avons montré que la lecture économique de cette relation ne permetpas à elle seule de comprendre pourquoi les distributeurs décident de nouer des coopérationsavec certaines PME. La recherche de légitimité est apparue comme une forte motivation. Nous avons ainsi montré que les partenariats engagés avec certaines PME visent à améliorerl’image de la grande distribution vis-à-vis d’autres parties prenantes, en particulier lesconsommateurs et l’Etat.
Il est apparu que les marques de distributeurs pouvaient constituer le théâtre d’une tellecoopération. Elles ont en effet connu au cours de ces dernières années un fort développementmarqué par un accroissement de la part de marché et une montée en gamme. Les marques dedistributeurs de quatrième génération qui se positionnent au-dessus des grandes marquesnationales en termes de qualité et de prix constituent une opportunité de coopération pour lesPME. Ce type de relation n’est pas accessible à toutes les PME. Seules celles dont l’offreprésente un caractère original en raison de sa typicité et de son caractère innovant se voientoffrir une telle opportunité. Ce scénario favorable aux PME est susceptible d’être remis encause par la propension actuelle des distributeurs à privilégier le discount. Elle pourraitconduire à mettre au second plan l’originalité de l’assortiment et donc l’offre des PME. BIBLIOGRAPHIE
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